Soutenance de thèse – résultats et contributions

ConclusionDe ces trois démarches et de leur confrontation, nous avons tiré plusieurs enseignements
dont nous vous livrons ici les principaux.
Notre première contribution est de proposer ce modèle conceptuel qui permet de décrire et d’analyser la coopération verticale d’innovation à la fois dans une perspective statique et dynamique.

Ce modèle est constitué de 4 éléments :

  1. Le premier élément est celui de la gouvernance de la dyade composé des contrats mis en place, des mécanismes de gestion inter et intra-entreprises, et des ressources humaines impliquées dans la coopération.
  2. Le second élément est celui de la performance de la relation qui se mesure à l’aune de l’efficacité et de l’efficience de la relation mais aussi de la proactivité de chaque entreprise. Nous formulons l’hypothèse que la gouvernance est liée à la performance de la relation.
  3. Le troisième élément est l’atmosphère de la relation. Cet atmosphère est constituée du niveau de confiance interentreprises, du niveau de familiarité entre elles et du niveau d’interdépendance entre le client et le fournisseur. Cela nous emmène à faire l’hypothèse que l’atmosphère de la relation est liée à sa gouvernance et qu’atmosphère et performance de la relation sont liées
  4. Le dernier élément est le projet d’innovation lui-même qui peut se décrire soit selon la maturité du projet, soit selon le type d’innovation, soit selon l’ampleur de l’innovation. Et, nous faisons l’hypothèse que chacune de ces natures de l’innovation est liée à la gouvernance.

A travers nos démarches quantitative et qualitative, nous avons validés ces liens entre les différents éléments du modèle et validé ainsi l’ensemble de nos hypothèses, à l’exclusion du lien entre la nature de l’innovation et la gouvernance et du lien entre l’ampleur de l’innovation et la gouvernance de la relation.

Une autre contribution est d’avoir identifié à travers notre étude au cœur d’une relation combien les différents éléments de la coopération pouvait varier au cours du temps, qu’il y avait des micro-cycles de vie de la relation. Cela nous conduit à deux enseignements.

Un premier enseignement théorique est d’étendre la prise en considération de la dynamique de la coopération d’innovation dès les tous premiers contacts entre le client et le fournisseur sur le projet d’innovation. Traditionnellement, la relation est considérée à partir du moment où la coopération est fixée, majoritairement par un accord contractuel. Or, dès ces premiers contacts, dans la phase d’appel d’offres, la coopération est active, les éléments de la relation sont là et les savoirs sont échangés entre les entreprises. Cette implication théorique a un impact pratique en signalant combien cette phase peut être aussi source de progrès de l’innovation – en innovation les fiançailles peuvent être aussi importantes que le mariage lui-même.

Un second enseignement tiré de l’analyse de cette trajectoire d’une coopération, qui se retrouve également dans notre approche quantitative, est la démonstration de la complémentarité entre mécanismes de contrôle et confiance. Nous avons en effet pu identifier combien dans une approche dynamique dès qu’il y a une baisse de la confiance, des dispositifs de contrôle sont mis en place qui permettent de recouvrer de la confiance. Ces résultats sont corroborés par notre approche statique et statistique où les atmosphères avec les plus hauts niveaux de confiance sont liées aux configurations de gouvernance présentant le plus de dispositifs de contrôle, et vice-versa.

Enfin, une autre contribution importante de nos travaux est la description du rôle des Achats-Innovation, une fonction en pleine émergence, dans la dynamique d’une coopération d’innovation. Nous avons ainsi pu identifier combien il jouait dans ce contexte un rôle double. Tout d’abord, dans la phase de sélection du fournisseur et d’élaboration d’un cahier des charges sur un objet de coopération innovant, dont les spécifications techniques comme fonctionnelles sont émergentes, il joue un rôle d’alignement en interne et en externe autour de l’objet de coopération. Ensuite, une fois le contrat passé, il sort, ou est sorti, de la relation. Son rôle se borne alors à venir résoudre les problèmes liés à la relation. Sa position de marginal-sécant lui permet alors à la fois de concilier les différentes logiques, innovation et supply chain, et de faciliter leur intégration au sein de l’entreprise cliente et de la relation. En amont il mobilise les ressources nécessaires, outils et experts, et en les adaptant à la situation. En aval, il intervient dans la relation avec le rôle du « bad cop », laissant aux ingénieurs le rôle du « good cop » afin que lui résolve les problèmes quand eux vont conserver des échanges de qualité sur l’innovation conjointe avec les ingénieurs du fournisseur.

Nous avons conclu notre présentation par la proposition de 3 pistes pour améliorer les coopérations verticales d’innovation, dans les entreprises :

  • Mettre en place une fonction Achats-Innovation afin de faciliter l’intégration des logiques Achats et Innovation,
  • Considérer les apports de la phase de sélection du fournisseur sur un projet afin d’améliorer la capacité d’innovation en coopération,
  • Adapter la gouvernance de la coopération d’innovation suivant  l’atmosphère de la relation client-fournisseur et suivant la maturité du projet d’innovation pour pouvoir optimiser la performance de la relation.

Les rapporteurs et les suffragants ont présenté leurs rapports, avis et questions. Des réponses ont été apportées. Le jury s’est retiré et a rendu son verdict.

Soutenance de thèse – enjeux et méthodes

Ma thèse s’intitule « Approche relationnelle de la coopération verticale d’innovation – facteurs de performance de la relation client-fournisseur en innovation ». Dans ce post et le suivant, je livre ce qui a été présenté au jury et au public ayant assisté à sa soutenance.

La thèse

Cette thèse vient répondre à des besoins très largement partagés dans le monde de l’entreprise. Rappelons tout d’abord que depuis une trentaine d’années le rythme de l’innovation a explosé alors que les ressources disponibles se font de plus en plus rares. Les entreprises innovent de moins en moins seules. Elles chassent de plus en plus en meute. Parmi ces meutes, la plus courante est la coopération entre un client et fournisseur. Pourtant, cette coopération pose de nombreux problèmes et tout particulièrement celui de l’intégration entre les logiques liées à l’innovation et les logiques liées à la relation client-fournisseur, à la fois au sein de chaque entreprise mais également entre elles. Une question reste posée pour la très grande majorité des entreprises, à savoir comment gérer la coopération client-fournisseur en innovation ? et, bien entendu, comment la rendre performante ?

Deux grands courants académiques s’intéressent aujourd’hui à ce problème de gestion. Un courant récent est celui de l’Open Innovation. L’autre, plus ancien, et dont le CRG est un grand contributeur, est celui de l’implication des fournisseurs dans les projets de développement de produits nouveaux. Chacun vient éclairer cette problématique via son prisme respectif. Le premier s’intéresse avant tout à la question des flux de savoirs entre entreprises, avec un niveau d’analyse stratégique. Le second se focalise sur le projet, avec un niveau d’analyse plus organisationnel. Tous deux soulignent combien la relation est importante pour la réussite de la coopération.

Pour autant, ce point reste à creuser et a été identifié comme tel.

Les recommandations des dernières revues de littérature, mais également d’articles-clefs moins récents, sont alors d’aborder cette question du management de la coopération verticale d’innovation en :

  • Prenant compte à la fois le management inter et intra-entreprise (Takeishi, 2001 ; Lakhani et al., 2013 ; Säfsten et al., 2014 ; Melander et Lakemond, 2015 ; West et Bogers, 2014),
  • Allant au-delà des frontières du projet pour s’intéresser aussi à la relation client-fournisseur (Midler et al., 1997 ; Wynstra et al., 2003 ; Calvi et Le Dain, 2013 ; Rosell et al., 2014 ; Vanhaverbeke et al., 2014),
  • Considérant la dynamique de la coopération (Segrestin,  2003 ; Maniak, 2009 ; Lakemond, 2014 ; Ylimäki, 2014).

Aussi, nous avons choisi de chercher à répondre à la question de recherche suivante :

  • Quelles sont les interactions et les dynamiques au sein d’une coopération client-fournisseur en innovation qui permettent d’expliquer la performance de la relation ?

Pour y répondre, nous avons choisi d’opter pour plusieurs sources de données et approches méthodologiques. Nous nous sommes également reposé sur 3 approches théoriques complémentaires :

Approches théoriques mobilisées dans la thèse

D’abord, nous avons bâti un modèle conceptuel en confrontant littérature académique et entretiens avec des managers impliqués dans des coopérations d’innovation, à la fois des clients, des fournisseurs, des institutions et des clusters d’entreprises. Puis, en parallèle nous avons mené une démarche quantitative auprès d’entreprises fournisseurs et une démarche inspirée de l’ethnographie auprès d’une entreprise cliente.

La première démarche nous a amené à élaborer un modèle conceptuel pour répondre au besoin qu’il y avait de pouvoir appréhender la coopération verticale d’innovation en prenant compte à la fois les questions liées à l’innovation et à la relation client-fournisseur.

La seconde démarche nous a permis de tester statistiquement ce modèle en nous appuyant sur des échelles de mesure éprouvées. Elle repose sur une enquête par questionnaire auprès de 160 fournisseurs et sur des tests statistiques. Cette démarche a permis (1) de valider statistiquement notre modèle et (2) de pouvoir décrire le fonctionnement des coopérations client-fournisseur en innovation. Cela nous permet d’appréhender comment elles sont managées, en fonction de maturité de l’innovation et de l’atmosphère de la relation, et pour quelle performance.

La troisième démarche d’inspiration ethnographique a consisté à participer à une relation d’innovation pendant 20 mois en tant qu’Acheteur-Innovation et à observer le déroulé de cette relation de ce point de vue. Dans un second temps, il s’est agi de reprendre l’ensemble des données collectées sur le terrain, de narrer cette histoire de la relation puis de l’analyser à travers notre modèle conceptuel.

Open Innovation : quelle source pour quelle question ?

Dans le numéro de juin 2014 de Research Policy, Felin et Zenger ont proposé un modèle permettant d’orienter sa recherche de savoir en fonction du type de problème à résoudre dans une démarche d’Open Innovation : selon la question que se pose une entreprise, quelle est la base de savoirs à mobiliser ?

Leur approche correspond tout d’abord bien à ce qu’est l’essence de l’Open Innovation : il ne s’agit pas de faire systématiquement appel à l’extérieur mais plutôt de considérer à la fois l’interne et l’externe pour innover.

Lors des toutes premières phases de la recherche d’idées nouvelles pour répondre à une problématique donnée, une entreprise doit considérer l’ensemble des bases de savoirs qui est à sa disposition : les savoirs de ses employés, ceux de son écosystème et ceux qui sont en-dehors de celui-ci. La détermination du mode d’accès à un nouveau savoir le plus pertinent peut alors se faire en déterminant le degré de complexité du problème posé et l’accessibilité qu’a l’entreprise au savoir nécessaire pour y répondre. Felin et Zenger proposent pour cela la matrice ci-dessus.

Pour des problèmes très complexes faisant appel à des bases de savoirs proches de l’entreprise, celle-ci a tout intérêt à mobiliser ses équipes à travers une démarche participative. Par contre, si le savoir nécessaire n’est pas connu du tout, l’appel aux communautés d’utilisateurs, aux lead-users sera alors plus efficace. Dans le cadre d’un problème plus ciblé (ou plus articulé) avec toujours un savoir éloigné de l’entreprise (par exemple, l’entreprise ne maîtrise pas les différentes technologies mobilisables pour une fonction spécifique), elle peut s’appuyer sur les plateformes d’innovation ouverte et sur des concours alors que l’acquisition de brevets ou l’appel à proposition auprès de fournisseurs ciblés sera plus efficace pour un savoir mieux connus.

Ce modèle suggère également que plus l’innovation visée est complexe plus il faut aller vers un mode de gouvernance riche multipliant les liens sociaux et proposant un contrat focalisé sur les « efforts or time and materials rather than outputs » et une gestion attentive de l’interface. Et inversement, quand l’innovation est moins complexe, le mode de gouvernance à privilégier est le contrat, le savoir étant disponible directement par le fournisseur « at mutually agreeable prices » ; le contrat encadre donc un « tightly specified problem solution, with payment contingent on delivery of (the) completed solution ».

– Vendée Globe et coopération d’innovation : un même outil pour optimiser la performance ?

Le Vendée Globe est à la fois une aventure et une course sans escale et sans assistance. Si le bateau est mené en solitaire, il a été préparé par une équipe qui continue d’accompagner le skipper dans son périple autour du monde. Bien souvent, les coureurs au large sont comparés aux entrepreneurs et aux innovateurs par leur capacité à surmonter des obstacles, à rechercher en permanence la performance malgré une rude concurrence et des éléments parfois plus rudes encore, et à savoir gérer un écosystème très varié.

Outre cette culture de l’aventure, d’autres passerelles entre skippers et entrepreneurs-innovateurs sont envisageables. Et, certains outils de gestion de la performance des voiliers nous paraissent particulièrement intéressants à étudier. Ainsi, sur le Vendée Globe, certains marins ont embarqué avec eux le mode d’emploi de leur voilier. Et dans ce mode d’emploi se trouve parfois un tableau qui leur permet d’optimiser le choix de leurs voiles en fonction de la force et de la direction du vent par rapport à leur voilier.

Le tableau ci-dessous (simplifié) a été utilisé lors d’un précédent Vendée Globe et représente cet outil que le skipper et son équipe ont réalisé lors de leur préparation. Chaque couleur représente un type de voile d’avant. L’abscisse représente la vitesse du vent, depuis le calme plat jusqu’à la tempête ; et l’ordonnée l’angle que fait le bateau avec le vent, depuis le vent (quasi) de face – au prêt – jusqu’au vent arrière. En fonction des conditions qu’il rencontre, le skipper sait ainsi quelle serait la meilleure voile d’avant à mettre pour optimiser la vitesse de son bateau.

exemple d'outil d'aide au choix des voiles d'avant (très simplifié)

exemple d’outil d’aide au choix des voiles d’avant (très simplifié)

Dans une coopération d’innovation, il serait envisageable de développer un outil équivalent. Il faudrait se limiter, dans un premier temps, à deux dimensions pour exprimer les conditions de la relation : d’une part l’état de développement de la relation (les entreprises sont-elles en train de se découvrir, de développer leur relation ou sont-elles dans une phase de stabilisation ? – Lee & R. E. Johnsen 2012) et d’autre part la maturité de l’innovation (à quel stade de développement en est le projet d’innovation : en phase de design, de développement, de lancement ? – Le Dain et al. 2011).

Ensuite, il s’agit de définir quelles sont les configurations de gouvernance possibles pour gérer la relation : quels types de contrats, quelles modalités de partage de l’innovation, quels outils pour échanger informations et connaissances, comment piloter la coopération, par quels moyens développer les interactions entre les équipes… et d’identifier quel est le bon mix entre tous ces mécanismes de gouvernance qui convient le mieux à chacune des conditions, pour la meilleure performance pour chacune des entreprises coopérant.

La première étape permettant la construction de cet outil va être présentée lors de la prochaine conférence annuelle de l’association des chercheurs et enseignants en achats et supply chain (IPSERA). Il s’agira de présenter le cadre dans lequel il s’inscrit aux meilleurs chercheurs sur le sujet afin de l’amender, le corriger et l’enrichir ; avant de le tester pour identifier les configurations possibles et leur effet sur la performance de la relation.

Bien entendu, il faudra également voir quels sont les autres paramètres à prendre en compte ; le skipper prend aussi en compte l’état de la mer, sa position par rapport à ses concurrents et aux icebergs, mais également sa propre fatigue pour choisir sa meilleure voile… Cela reste un outil d’aide à la décision, la décision elle-même appartient toujours au skipper et à son bon sens marin !

Ce sera peut-être aussi l’occasion d’identifier ou de définir la « voile secrète », celle qui permet dans certaines configurations de surperformer par rapport aux autres… et de prendre le dessus.